Soleil noir à Mexico

Voici un billet sur l’événement d’où tout est parti, pour écrire Convergence.

Une fois n’est pas coutume, je vais retranscrire fidèlement l’article d’un membre du CIS (Club d’Information Scientifique) qui a participé à ce voyage.
Malheureusement, le blog n’est plus en ligne, aussi, si l’auteur de cet article ou un proche lisait cette page, je les invite à me contacter, afin de créditer pleinement le compte-rendu ! ❤️

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En juillet 1991, le 11 juillet exactement, eut lieu la plus longue éclipse de Soleil du siècle. Le CIS ne pouvait pas être indifférent à cet événement. Aussi, dès l’hiver 1990/91, le projet d’un voyage au Mexique fut-il envisagé. Hélas le coût de l’expédition ne permit pas de constituer un groupe autonome, comme cela c’était produit en 1986 lors de l’observation de la comète de Halley aux Canaries. Néanmoins une proposition faite par une association voisine, l’ACDA (Association pour la Connaissance et le développement de l’Astronomie), retint particulièrement l’attention du comité d’organisation. Cette association regroupe des astronomes amateurs, mais aussi des professionnels. Deux éminents spécialistes assistaient à cette entreprise, dont M. Gérard Oudenot, Directeur du planétarium du Palais de la découverte. C’était donc une caution de la réussite de l’opération, d’autant que les organisateurs de cette association avaient déjà retenu un site particulièrement favorable pour observer l’éclipse en Californie mexicaine. La Californie mexicaine, ou Basse Californie se situe à la pointe de la péninsule californienne. A l’inverse de la Californie des Etats-Unis d’Amérique, elle est moins connue moins riche et plus sauvage : c’est une zone désertique. La chance d’y avoir un ciel clair est proche de 100 %, ce qui n’est pas le cas de Mexico, au ciel très pollué et en saison des pluies. Autre avantage, la ligne de totalité passe justement au sud de la péninsule et enfin l’éclipse se produit vers midi, le Soleil étant au zénith.

La durée de cette éclipse était exceptionnelle : 3 heures au total dont 7 minutes dans sa totalité : ces circonstances ne se reproduiront pas avant l’an 2136.

Neuf membres du CIS s’inscrirent. A la poursuite du Soleil Le samedi 6 juillet 1991, nos neuf heureux adhérents du CIS s’envolent à la poursuite du Soleil pour un fabuleux voyage. Donnons leur maintenant la parole :

Mexico, Mexico… Partis d’Orly à 17 h (heure de Paris) nous voyageons tout le jour. Nous survolons la Cornouaille britannique, l’Irlande, l’Islande, le sud du Groenland, puis nous plongeons sur les Grands Lacs avec la nuit qui tombe. Survol du Texas et atterrissage à Mexico. Il n’est que 23 h (heure locale) et c’est l’heure de se coucher.  Ce n’est pas sous le Soleil mais sous une pluie battante que nos visitons le lendemain les jardins flottants de Xochimilco, promenade dominicale favorite des Mexicains. Pendant trois jours nous visitons Mexico et ses environs : Teotihuacan et ses fameuses pyramides du Soleil et de la Lune, excellente préface pour l’éclipse, Cuernavaca, Taxco, la cité de l’argent, et bien d’autres sites tous pittoresques et attachants.

Le jour le plus long arrive le 10 juillet, veille de l’évènement tant attendu. Nous allons reprendre l’avion pour La Paz. Non, il ne s’agit pas de la haute capitale de la Bolivie mais d’une paisible localité homonyme de la basse Californie mexicaine. Il n’est pas possible de séjourner à cette occasion dans cette région car les chambres sont réservées depuis longtemps par les Américains et le moindre grabat coûte 500 dollars. Nous devons faire l’aller-retour depuis Mexico. C’est pourquoi nous arrivons à La Paz dans la nuit, puis nous prenons un car pour nous rendre un peu plus au sud, dans un village balnéaire, San José del Cabo. Un hotel-club a mis à la disposition du groupe ses jardins et sa plage de sable fin. Nous sommes nombreux, mais il y a de la place et nous comptons parmi les privilégiés qui ont pu accéder à ce site exceptionnel. Nous arrivons à la fin de la nuit pour observer les dernières étoiles puis nous assistons au lever du Soleil sur le sable du Pacifique et ses cocotiers. Après le petit déjeuner, le Directeur du Planétarium du Palais de la Découverte, qui fait partie du voyage, nous explique avec humour et pédagogie le mystère des éclipses. Les assiettes du restaurant sont les bienvenues pour montrer comment se produit le rendez-vous de l’une (la Lune) avec l’autre (le Soleil). Nous sommes tout de même un peu inquiets car de petits nuages voilent l’astre du jour qui n’est pas encore très haut sur l’horizon. Mais d’ici à midi cela devrait s’éclaircir, nous dit-on. C’est vrai et vers dix heures, c’est-à-dire une heure avant le premier rendez-vous, le ciel devient d’un bleu limpide et intense. Nous sommes rassurés et nous attendons allongés paresseusement sur le sable fin le premier contact. Les instruments d’observation sont en batterie, munis de filtres indispensables qui ont été fiévreusement préparés à l’avance.  
Quelqu’un annonce : « celui qui signalera le premier contact aura gagné… la considération de ses camarades ». A 11h la rencontre a lieu comme prévu. Au travers de nos verres fumés, nous ne voyons pas grand chose. Quelques minutes plus tard cependant on voit le disque solaire se creuser.
Lorsque la moitié du Soleil est occulté, le ciel s’obscurcit légèrement et la température caniculaire commence à se rafraîchir. Enfin tout s’accélère. Sous les arbres, les ombres portées par les feuilles se transforment en de multiples taches en forme de croissants. Le ciel s’assombrit de plus en plus et il faut chercher une petite laine !
Le Soleil a rendez-vous avec la Lune, à moins que ce ne soit le contraire ? Cette fois il fait presque nuit. Il fait frais. On distingue les étoiles les plus brillantes. Mercure, la planète la plus proche du Soleil est visible. Pour la plupart d’entre nous, c’est une découverte. Cet objet est trop proche du Soleil pour être aperçu de la Terre, sauf conditions exceptionnelles. On voit aussi Vénus, très brillante, une vieille connaissance. C’est l’étoile du Berger que l’on connaît bien pour l’avoir souvent remarquée avant le lever du Soleil ou après son coucher. La planète Jupiter et l’étoile Sirius sont également présentes. Mais l’obscurité n’est pas totale. En effet, le Soleil est actuellement dans un cycle d’intense activité et présente de nombreuses protubérances incandescentes. De ce fait la couronne solaire est très lumineuse et éclaire le ciel. Aux jumelles et même à l’œil nu le spectacle de l’auréole solaire est magnifique. Le Soleil baigne dans des rais de lumière opalescente et l’on distingue clairement, diamétralement opposées, deux gerbes de flammes rougeoyantes, comme si deux volcans géants crachaient leur lave de feu. Le spectacle, inoubliable, dure un peu plus de six minutes, on souhaiterait que le temps suspende son vol … La marche inexorable du cosmos poursuit son cours. L’astre du jour réapparaît dans un croissant qui s’agrandit rapidement dans la fuite éperdue de notre planète. Dès lors l’intérêt faiblit, seuls les mordus de photographie poursuivent leur pacifique mitraillage. Les autres commencent à penser à d’autres nourritures que les nourritures spirituelles…

Tout a une fin, et l’après-midi est consacré au déjeuner, à la sieste et à la baignade. Le soir, nous reprenons le car, un dernier coup d’œil sur l’extrême pointe de la Californie, puis retour à Mexico via La Paz dans la nuit. (…) Les yeux éblouis, nous reprendrons l’avion pour le voyage du retour… Un jour, sans doute, nous reviendrons ? Mais ceci est une autre histoire.

René Petitjean

Également : archive du Monde, 10 juillet 1991